Et le monde devint silencieux

Comment l'agrochimie a détruit les insectes
Stéphane Foucart, Seuil, 2019
Introduction. La robe de médée, p. 17
La progression du cancer était due à une variété de facteurs [...] Tout cela n'était pas nécessairement faux, mais la formulation même de cet amoncellement de causes diverses et variées du cancer du poumon était trompeuse. Elle aplanissait toute hiérarchie des maux et masquait ainsi la cause dominante de la maladie [...] En cessant de fumer, on résout une grande part du problème.
p. 18
En juin 2018 dans la revue Science, près de 250 chercheurs internationaux rappelaient que les faits désormais disponibles « suggèrent fortement que ces produits nuisent aux insectes auxiliaires et contribuent à l'actuelle perte massive de biodiversité ». « Il y a nécessité immédiate d'accords nationaux et internationaux pour restreindre fortement leur usage, et pour empêcher l'homologation d'agrotoxiques similaires dans l'avenir. »
p. 22
L'échec de la lutte contre le changement climatique, c'est l'échec d'une médecine qui craint plus l'erreur de diagnostic que la mort du patient.
1. L'ampleur du désastre, pp. 36-39
Le biologiste Caspar Hallmann (université Radboud, Pays-Bas) et une demi-douzaine d'autres chercheurs de plusieurs pays ont analysé des données historiques de captures d'insectes dans une soixantaine de zones protégées d'Allemagne [...] Leurs résultats indiquent que la quantité d'insectes volants, au cours de ces vingt-sept années [1989-2016], a chuté de 76 % en moyenne et jusqu'à 82 % au milieu de l'été. [...] À peine plus d'un an après sa publication en octobre 2017, [l'étude] avait été citee par plus de 145 études ultérieures publiées dans la littérature scientifique, soit un taux de citation considérable.
2. Enterrer l'alerte, pp. 69-70
Tous [les apiculteurs touchés] pointent la coïncidence frappante entre l'arrivé en 1993 d'un nouvel insecticide utilisé sur le tournesol, l'imidaclopride, commercialisé par Bayer sous le nom de Gaucho, et la survenue de leurs problem̀es.
3. Diversions, p. 129
Exposées à des doses minuscules d'imidaclopride, les abeilles domestiques sont beaucoup plus sensibles à la nosémose [maladie provoquée par un champignon microscopique].
p. 135
Les abeilles exposées à des néonics communs voient leur comportement d'« autotoilettage » être altéré [ce qui] les rend incapables de se débarrasser du [varroa — mite de l'abeille] qui s'accroche à leur abdomen.
4. Truquer les normes
5. La saga du moratoire
6. Guérillas en plein champ, p. 244
Absence de preuve de risques à un instant donné n'est pas preuve de leur absence dans l'absolu.
7. La confrérie des insectes
8. Des insectes aux oiseaux, p. 275
Autant la disparition des insectes — à l'exception des abeilles — mobilise bien peu, autant celle des oiseaux frappe l'imagination.
p. 299
Les insectes forment 40 % à 90 % du régime alimentaire des poissons d'eau douce, environ 75 % de celui des amphibiens, des lézards, etc. [...] Si vous n'avez plus rien pour vous nourrir, vous disparaissez.
p. 303
Avons-nous « immunodéprimé » la faune sauvage en recourant à ces nouveaux insecticides ?
9. Un mal inutile, pp. 305-306
Dans son rapport [janvier 2013], le HPPA [Humboldt Forum for Food and Agriculture, mandaté par Bayer, Syngenta, etc.] assure : « Sur une période de cinq ans, l'Union européenne pourrait perdre 17 milliards d'euros, voire plus. Cinquante mille emplois pourraient être perdus sur l'ensemble de l'économie et plus d'un million de personnes engagées dans la production agricole souffriraient certainement si elles perdaient la possibilité d'utiliser les néonicotinoïdes ». [...] Plus de cinq années ont passé depuis la mise en place du moratoire européen et cette prévision apocalyptique n'entretient qu'un rapport très lointain avec ce qui s'est effectivement produit [...] À quoi servent réellement les néonics ?
pp. 308-309
Filippo Codato met sur pied [2014] un Fonds mutuel d'assurance récolte. Chaque maïsiculteur souhaitant adhérer verse au Fonds une somme de l'ordre de 3 à 5 euros par an et par hectare [entre 7 et 10 fois moins cher que d'employer des néonics]. En cas de perte de récolte ou de rendement dû à une attaque de ravageurs, il est indemnisé. Selon les chiffres de Lorenzo Furlan, le fonds a en moyenne récolté qulque 160 000 euros par an et en a reversé 83 000 euros, en raison de dommages constatés sur les récoltes. Ces résultats valident trente années d'observation de la pression de ravageurs en Vénétie : dans 95 % des cas, les traitements systémiques sont inutiles. Leur seul impact est de contaminer l'environnement, de détruire les polinisateurs et de produire tous les effets en cascade décrits.
Conclusion. Les jardins sont des cimetières

La conversation scientifique,
Biologie