Ce qui frappe parmi les opposants à l’impôt sur les ultrariches, c’est leur absence totale de perspective historique

Chronique de Thomas Piketty, le samedi 14 juin 2025
Même si le Sénat s’est prononcé contre la taxe de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, l’ampleur de la dette française et les besoins de financements liés aux défis sociaux et climatiques imposeront très vite des mesures de redistribution encore plus radicales.
Les 500 plus grandes fortunes sont passées de 200 milliards d’euros à 1 200 milliards entre 2010 et 2025, soit une progression de 500 %. Avec une taxe de 2 % par an, il faudrait un siècle pour les faire revenir à leur niveau de 2010, à supposer qu’elles ne gagnent aucun revenu dans l’intervalle. Ce qui n’a pas beaucoup de sens vu qu’elles se sont enrichies de 7 % à 8 % par an au cours des quinze dernières années.
L’exil fiscal ? La loi adoptée par l’Assemblée prévoit un premier mécanisme pour y faire face : les milliardaires continuent d’être soumis à l’impôt plancher cinq ans après leur départ, ce qui limite l’intérêt de l’exil.
Le risque de voir nos champions nationaux rachetés par des étrangers ? Là encore l’argument ne tient guère. La France regorge d’épargne. Si certains milliardaires ne peuvent payer cash l’impôt de 2 %, alors ils peuvent parfaitement acquitter l’impôt en titres, que l’Etat revendra à sa guise, par exemple au bénéfice des salariés intéressés.

Article,
Le Monde, 2025